Le témoignage des Pères de l’Eglise (III).

Le témoignage des Pères de l’Eglise (III).

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Transmettre la Foi aujourd’hui.

Mgr Enrico Dal Covolo

Traduction d’Océane Le Gall

ROME, Jeudi 5 Juillet 2012 (ZENIT.org) – « Ambroise et Augustin: comment  éduquer à la Foi? », est la question que pose le recteur de l'université du Latran, Mgr Enrico Dal Covolo, dans la troisième et dernière partie de sa réflexion sur les Pères de l’Eglise et « la transmission de la Foi aujourd’hui ». 

Mgr dal Covolo relève chez l’un et chez l’autre les grandes étapes d’un itinéraire d’éducation visant une transmission correcte  de la Foi :

3.1. La théorie catéchétique d’Ambroise1

Dans le ministère pastoral d’Ambroise, l’éducation à la Foi connaît trois étapes fondamentales. Aujourd’hui nous pouvons discuter de la priorité de l’une par rapport à l’autre, mais il est certain que celles-ci représentent trois exigences incontournables pour chaque itinéraire de Foi.

a) La catéchèse d’Ambroise est une catéchèse très concrète, qui prétend informer sur les choix et les comportements pratiques de la vie. Ambroise partait, précisément, de l’instruction morale, et c’était la première chose qu’il tirait de la lecture de la Bible: « Nous vous avons donné chaque jour des instructions morales », disait-il aux destinataires de sa catéchèse , tandis qu'on lisait l'histoire des patriarches et les maximes des Proverbes, « afin que formés et instruits par là, vous vous accoutumiez à entrer dans la voie de nos ancêtres, à suivre leur chemin et à obéir aux oracles de Dieu et qu'ainsi, une fois renouvelés par le Baptême, vous meniez le genre de vie qui convient à ceux qui ont été purifiés » (Les mystères 1,1).

Pour notre part, nous devons reconnaître que la Foi grandit grâce aux expériences de la vie. Donc, celui qui éduque à la Foi est quelqu’un qui invite à des expériences positives, à des attitudes concrètes, des faits..., qui permettent cette circularité féconde entre la Foi et la vie.

b) Deuxièmement, la catéchèse d’Ambroise a une robuste dimension dogmatique et doctrinale. Au fidèle – déjà «purifié» à la première étape – est remis le Symbole romain dans ses douze articles fondamentaux, et ce «Bréviaire de la Foi » lui est expliqué de manière à ce qu’il l’assimile et puisse le rendre, le transmettant à son tour, témoignant, par la parole et sa vie (Explication du Symbole 2).

Celui qui éduque à la Foi doit être doté de compétences théologiques précises. Cela ne s’improvise pas, tout d’abord par respect pour le depositum fidei: en effet, qui éduque à la Foi ne remet pas un message qui lui appartient ; le message qu’il remet le dépasse, et doit encore être transmis après lui.

c) Enfin, la catéchèse d’Ambroise conduit aux Sacrements: le pasteur accompagne par la main les fidèles dans l’univers de l’esprit,  dévoilant et transmettant une nouvelle capacité visuelle, qui leur permet de faire l’expérience du Salut dans la célébration Liturgique d’aujourd’hui (les Sacrements, donc).

«Tu y es allé  », dit un célèbre texte d’Ambroise, « tu t'es lavé, tu es venu à l'autel, tu as commencé à voir ce que tu ne voyais pas avant, c'est-à-dire que par la fontaine et la prédication de La Passion du Seigneur tes yeux se sont ouverts. Toi qui semblais avoir le cœur aveuglé, tu t'es mis à voir la Lumière des Sacrements. » (Des Sacrements 3,15).

Ceci est précisément le point d’arrivée d’un itinéraire de Foi. Ainsi, celui qui éduque à la foi est quelqu’un qui – marquant la route – met en œuvre et vit lui-même la « dimension sacramentelle », étudie comment témoigner efficacement de cette valeur à laquelle on ne saurait renoncer.

En général, nous relevons dans cette éducation d’Ambroise à la Foi le primat de la vie sur les concepts. C’est ce réalisme de Foi, que, du reste, nous avions déjà constaté dans ses principes pastoraux, en évoquant sa rencontre avec Augustin. Le fait est que pour Ambroise la Chose (Res) la plus importante de toutes n’est pas la doctrine: c’est une Personne vivante, Jésus Christ, s’exclame avec enthousiasme l’éveque de Milan, « Le Christ est tout pour nous: Omnia Christus est nobis!» (La virginité 16,99).

3.2. La théorie catéchétique  d’Augustin2

Je me limite ici à rappeler un bref ouvrage d’Augustin, La catéchèse aux simples, adressée au Diacre Deogratias de Carthage – un «catéchiste découragé » –, vers l’an 400. Il s’agit, comme dit le titre, d’un petit manuel de catéchèse, unique dans la littérature des Pères de l’Eglise.

Ici aussi nous pouvons dégager trois exigences fondamentales pour une correcte transmission de la Foi.

a) Tout d’abord  le récit de l’histoire salvifique. Selon Augustin, celui qui éduque à la Foi doit présenter un récit complet de l’histoire du Salut, commençant par «  au commencement Dieu créa le Ciel et la Terre » (Genèse ,1), jusqu’aux temps de l’Eglise. Naturellement il s’arrêtera en particulier sur les faits essentiels et passera rapidement sur ceux qui le sont moins.  Apparaitront alors les éléments cruciaux de l’histoire du Salut, surtout l’événement central, qui est Le Christ, synthèse de tous les autres. De là la continuité entre l’Ancien et le Nouveau Testament: « L'Ancien Testament », écrit Augustin, « est le symbole mystérieux du Nouveau Testament, le Nouveau la révélation éclatante de l’Ancien ». Ainsi l’Ecriture toute entière « raconte Le Christ et pousse à aimer » (Traité du Catéchisme 4,8).

On dirait entendre ici certains passages du « document de base » pour le Renouvellement de la Catéchèse (= RdC), Rome 1970 (« remis à nouveau» en 1988 à l’Eglise italienne),un texte qui s’est effectivement inspiré de manière explicite au livret d’Augustin. On y voit surtout les paragraphes 105-108 du RdC, qui rapportent aussi la très célèbre citation de saint Jérôme, un contemporain d’Augustin: « Ignorer les Ecritures c’est ignorer Le Christ ».

A propos justement d’Augustin et de Jérôme, à noter les plus importantes sources patristiques du dit biblio-­centrisme de la catéchèse, adopté par les catéchistes italiens après le Concile (Le catéchiste est un homme de la Parole, car pour lui «les Ecritures sont « le Livre » : pas un manuel, fût-il le premier »: RdC 107). Un biblio-centrisme qui (chez Augustin, disciple d’Ambroise, et en général dans une correcte transmission de la foi) équivaut à un christocentrisme: en effet le catéchiste « choisit dans les Ecritures, notamment dans les évangiles et les autres livres du Nouveau Testament, les textes et les faits, les personnages, les thèmes et les symboles qui convergent le plus vers Le Christ... Dans les personnages, nous devons voir le choix que Dieu a fait pour qu’ils deviennent ses collaborateurs, tant dans la préparation de la venue du Sauveur que pour prolonger sa mission. Il faut mettre l’accent sur leur correspondance à l’appel, l’orientation vers Le Christ » (RdC 108).

Et l’on peut citer aussi l’assertion péremptoire de la Catechesi Tradendae (= CT) de Jean Paul II (1979): « Au centre même de la catéchèse nous trouvons essentiellement une personne: celle de Jésus de Nazareth, Fils unique du Père, plein de grâce et de vérité » (CT 5).

b) Augustin, pour transmettre la Foi, signale une autre exigence : celle de s’ouvrir à l’espérance  qui nait de la foi en la Résurrection. L’espérance a en effet un nom précis: le Christ ressuscité (Traité du Catéchisme 25,46). « Et qu’est devenue notre espérance? » se demande Augustin, dans un autre contexte. « Parce qu’il a été tenté, qu’il a souffert et qu’il est ressuscité. C’est ainsi que le Christ est devenu notre espérance. En lui, tu vois les peines que tu as à supporter, et la récompense que tu obtiendras; sa passion est l’image des unes; sa résurrection, l’image de l’autre. Ainsi, encore une fois, est-il devenu le sujet de notre espérance. Il y a, pour nous, deux sortes de vie: l’une, qui est maintenant notre partage; l’autre, qui n’est encore que l’objet de nos espérances; nous connaissons celle-ci, puisque nous en jouissons; l’autre nous est inconnue (…)  Par ses épreuves, ses tentations, ses souffrances et sa mort, le Christ t’a fait connaître le caractère de notre vie terrestre; il t’a appris aussi, par sa résurrection, quelle sera la vie éternelle. Nous savions, en effet, que l’homme naît et meurt; mais nous ne savions que cela, car nous ignorions qu’il dût ressusciter pour vivre toujours. Il est donc devenu notre espérance au milieu des tribulations et des épreuves de notre pèlerinage terrestre. » (Discours sur les Psaumes 60,4).3

On voit donc qu’Augustin, qui a 29 ans – « désespéré » – a cédé la place à un des plus grands chantres de l’espérance que l’Eglise ait jamais connu en 2000 ans d’histoire. Les deux moments décisifs de ce passage furent la rencontre avec Ambroise et le baptême que l’évêque de Milan lui administra la nuit de pâques en 387.

Nous pouvons en déduire que celui qui transmet la Foi est un homme (ou une femme) d’espérance, prêt à rendre raison de cette espérance qui est en lui, évitant ainsi tout propos destructeur ou hypocrite sur le temps présent. Il y a en lui un optimisme substantiel, soutenu par la Foi, et une attention cordiale à toutes les valeurs terrestres, et cette conscience que les résurrection est « parole de confiance  et d’espérance » à leur égard aussi.

c) Enfin qui transmet la Foi est quelqu’un qui donne avec joie, égaye : même quand il parle, dit Augustin, il s’efforcera « de ne pas être lourd, de s’exprimer de manière agréable » (Traité du Catéchisme 2,3). On a l’impression d’entendre don Bosco, quand Augustin affirme que, s’il y a de la gaieté,   « le disciple semble s’exprimer par la bouche du maître, et le maître s’initier avec ses disciples aux vérités mêmes qu’il enseigne. » (ibidem 12,17).

Celui qui éduque à la Foi, pour le dire donc à la don Bosco, c’est celui qui « étudie comment se faire aimer », qui comprend et partage les intérêts, l’affection, les conditions et les attentes des fidèles, pour les conduire, dans la joie, à la rencontre du Seigneur.

***

« Selon les goûts les plus divers des fidèles », écrit encore Augustin, « mon discours commence, se poursuit et s’achève » (ibidem 15,23).

Et nous, nous terminons ici nos réflexions.

Mais le message des Pères, qui nous ont précédés, continue d’interpeller chacun de nous, et invite à redessiner non pas, bien entendu, la regula fidei, mais plutôt le profil et la méthode de celui qui compte transmettre la Foi en cette heure que vit l’Eglise.

(La seconde partie de cette réflexion a été publiée hier, mercredi 4 juillet)

*

NOTES

1 Cf. F. BERGAMELLI, Ambrogio di Milano, in J. GEVART (cur.), Dizionario di Catechetica, Leumann (Turin) 1986, pp. 29-30; AA. VV., S. Ambrogio di Milano, «Evangelizzare» 23 (1997), pp. 597-620. Si vedano anche il sussidio curato da E. MARROCCO – G. MONZIO COMPAGNONI, Ambrogio di Milano. L’amore generi la fede. La catechesi sul Credo, Milano 2007, et la catéchèse du pape sur saint Ambroise, dans BENOIT XVI, Les Pères de l’Eglise … , pp. 147-152.

2 Cf. O. PASQUATO, Agostino, in J. GEVAERT (cur.), Dizionario di Catechetica..., pp. 23-25. A voir aussi les cinq catéchèses que le pape a consacrées à Saint Augustin dans BENOIT XVI, Les Pères de l’Eglise … , pp. 199-233.

3 Cf. G. VISONA’, La speranza nei Padri, Milann 1993, pp. 245-246.

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Date de dernière mise à jour : 05/07/2021

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